
Histoire
et
architecture

L’abbaye de Lagrasse
Un joyau patrimonial de l’Aude
En plein cœur du Pays cathare, le Centre culturel Les arts de lire occupe la partie médiévale* de l’Abbaye de Lagrasse. Classée Monument historique, propriété du Département de l’Aude depuis 2004, cette partie est composée de vestiges médiévaux, dont certains datent de l’époque carolingienne. Sa riche palette architecturale, allant du VIIIᵉ au XIXᵉ siècle, constitue l’un des trésors à contempler en Occitanie.
*À ne pas confondre avec la portion dite « privée », composée d’un bâti plus récent et propriété d’une communauté religieuse.
De Charlemagne au XVIIIᵉ siècle
Fondation de l’abbaye peu avant 800
Intitulé Légende de Philomène, ce texte relate la rencontre du roi des Francs, de retour d’une campagne militaire contre les Sarrazins, avec sept ermites vivant dans une vallée désertique. Il aurait offert aux religieux un important butin pour la construction d’une abbaye dédiée à la Vierge, et décidé que le lieu serait désormais une « vallée grasse », lui donnant son nom actuel.
L’abbaye est fondée par Charlemagne en 779 lorsqu’il cède sa protection au monastère bénédictin Sainte-Marie d’Orbieu. Un récit, rédigé par les moines au XIIIᵉ siècle, raconte la fondation de l’abbaye en donnant à cette histoire un caractère miraculeux et légendaire.
De cette époque carolingienne, plusieurs traces subsistent comme la base d’une tour préromane. D’autres références à cette période historique sont présentes dans la toponymie des environs : les Fesses de Charlemagne, le Pied de Charlemagne…


Une expansion jalonnée de crises et de réformes
Si, dans un premier temps, le patrimoine de l’abbaye reste modeste, il s’accroît dès le XIIᵉ siècle grâce à l’apport massif de dons. Les moines se voient alors confier la réforme de plusieurs monastères, et se retrouvent à la tête d’un ensemble de possessions s’étendant de Toulouse à Narbonne, du Roussillon à la Catalogne. À cette période de prospérité s'ensuit une crise matérielle. Au XIIIᵉ siècle, la personnalité de certains abbés (dont Auger de Gogenx) et la durée de leur abbatiat permettent de surmonter ces tensions.
Par la suite, dans le contexte troublé du XIVᵉ avec la guerre de Cent Ans et la multiplication des épidémies, l’abbaye se dote d’éléments défensifs (contreforts, mâchicoulis, meurtrières) et le bourg de Lagrasse est fortifié.
Après plusieurs crises internes, l’abbaye rétablit l'observance stricte de la règle de saint Benoît au XVIIᵉ. Ceci permet à ce site religieux de retrouver son autorité spirituelle.
De la Révolution à aujourd’hui
Sécularisation de l’abbaye
Lorsque la Révolution éclate, seule une dizaine de religieux vit encore à Lagrasse. Suite à l’aliénation des biens du clergé, les moines sont expulsés de l’abbaye en 1792. Des scellés sont posés, les biens du domaine sont inventoriés. L’abbaye sert dans un premier temps d’hôpital militaire, usage qui lui cause de nombreux dommages. En 1796, elle est vendue comme « Bien national ». Cette époque marque la division de ses bâtiments en deux parties. Héritage qui demeure encore à ce jour.
Un premier lot (correspondant aujourd’hui à la partie dite « privée ») est acquis par la famille Sarrail, marchands carcassonnais.
Le second lot (correspondant à la partie médiévale dite « publique ») est acquis deux mois plus tard par une famille de viticulteurs et négociants en vin de Lagrasse, les Berlioz, qui donneront trois générations de maires au village.


Dédié aujourd’hui à la littérature et au patrimoine
Ces nouveaux propriétaires gèrent leurs terres et bâtiments en domaines agricoles, transformant certains des espaces en granges ou en fermes. Des aménagements de confort sont entrepris. Sur le second lot, les espaces nord de la partie abbatiale sont aménagés en résidence par la famille Berlioz. Ce qui occasionne de profondes transformations.
Après la Grande Guerre, la famille Berlioz fait don de son bien à l’Association des médaillés militaires. L’ensemble de la partie médiévale deviendra un orphelinat et conservera cette fonction de 1925 à 1975.
En 1981, cette partie est acquise par la mairie de Lagrasse qui en confie la gestion à la Communauté de communes. Elle la cède au Conseil général de l’Aude en 2004. Classé Monument historique, ce site accueille, depuis 1995, le Banquet du livre d’été. L’EPCC Les arts de lire y est basé depuis 2022 alliant, dans ses activités, lecture, culture et patrimoine.
Visite libre ou guidée
Venez découvrir les trésors de l’abbaye de Lagrasse
La partie médiévale de l’abbaye et le palais abbatial, maintes fois remaniés et marqueurs de l’Histoire, vous ouvrent leurs portes. Tous deux constituent une traversée passionnante à travers douze siècles.
Télécharger le dépliant de visite, disponible en quatre langues :


Le visiteur entre par les espaces du logis nord. Au Moyen Âge, ces espaces faisaient partie du palais abbatial. Leur configuration actuelle est le résultat des remaniements opérés au XIXᵉ siècle par la famille Berlioz pour transformer ce site en résidence. Cela se traduit par le percement de nombreuses fenêtres et par des aménagements intérieurs (cloisonnement des espaces, suppression des cheminées médiévales…).

Réservés à l’usage de l’abbé, les bâtiments, qui entourent la cour intérieure, forment l’ensemble du palais abbatial. Ils sont refaçonnés à la fin du XIIIᵉ siècle sous Auger de Gogenx, abbé de Lagrasse de 1279 à 1309. Certaines constructions antérieures, datant du XIᵉ et XIIIᵉ siècles, sont réutilisées à cette occasion, d’autres sont édifiées ex nihilo. Fier de ces travaux, Auger de Gogenx fait apposer ses armes à de nombreuses reprises dans l’architecture, affirmant ainsi son pouvoir.

Le vestibule est orné de closoirs peints datant de 1296, qui portent les armoiries d’Auger de Gogenx. Armoiries sur lesquelles figurent des monstres et des créatures hybrides caractéristiques de l’imagerie fabuleuse du Moyen-âge. La chapelle basse est une pièce en berceau inversé, autrefois décorée de peintures aujourd’hui effacées. Cette salle abrite la projection d’un petit film sur l’histoire de l’abbaye.

Au rez-de-chaussée se trouvent le cellier et la boulangerie (appellations tardives qui remontent au XVIIIᵉ siècle). Leur construction date de la fin du XIIIᵉ siècle. Des deux, seul le cellier est accessible aujourd’hui au public. Garde-manger de l’abbaye, il impressionne par sa taille. On y stockait la farine, le vin, les salaisons, l’huile… pour une population que l’on devine nombreuse : les moines, leurs serviteurs, les hôtes de passage…

La sacristie a été construite à la fin du XIIIᵉ siècle. Elle est surélevée à la fin du XVIIᵉ et dotée de deux étages (aujourd’hui effondrés) pour accueillir l’hôtellerie et l’infirmerie. Lors de sa restauration de 2009, les fenêtres sur cour ont été restituées dans leur état du XVIIIᵉ siècle. Et sous le dallage, des fouilles ont mis en évidence une occupation très ancienne : une calade de l’époque romane, sous laquelle figuraient également un mur arasé et quatre trous de poteaux datant, pour leur part, de la période carolingienne.

Le bras Nord du transept de l’église abbatiale apparaît séparé de la nef sur la représentation architecturale de l’abbaye du Monasticon Gallicanum* (planche de 1687). L’ancien transept, surmonté d’une loggia, est mentionné sur cette gravure en tant que Bibliotheca (bibliothèque).
* Le Monasticon Gallicanum est un projet éditorial de la congrégation de Saint-Maur à la fin du XVIIᵉ siècle destiné à présenter l’histoire des monastères médiévaux agrégés à cette congrégation, avec une notice et une vue cavalière pour chaque établissement.

La tour préromane est le dernier témoin architectural de l’époque carolingienne, percée d’une porte à arc outre cintré typique de l’architecture préromane et wisigothique (VIIIᵉ siècle). Cette tour est mentionnée sur la représentation du Monasticon Gallicanum comme l’horloge de l’abbaye.
Le dortoir a passé plusieurs décennies à la belle étoile, sous une toiture effondrée. Il offre aujourd’hui un magnifique espace, invitant au silence et au calme. La vie stricte dictée par la règle bénédictine a connu ici de nombreuses entorses. Au Moyen Âge, les moines dormaient dans cet espace commun, jusqu’à ce que des cloisons en bois soient installées de part et d’autre du couloir central pour aménager des appartements privatifs. Au XVIIᵉ siècle, un plancher en dalles reposant sur une voûte de pierre a séparé verticalement le grand bâtiment du monastère médiéval.

Réservée à l’usage personnel de l’abbé Auger, la chapelle haute est dédiée à saint Barthélemy. La qualité des décors atteste des goûts raffinés de l’abbé qui a su s’entourer des artistes les plus compétents de son époque. Joyau de l’art gothique, elle arbore des peintures murales centrées sur le Mystère du Christ et le Jugement dernier. Le sol de la chapelle est pavé de carreaux multicolores qui forment un tapis à la géométrie étudiée, d’une extraordinaire beauté.

Sa construction du vestibule est due aussi à Auger de Gogenx, dont on retrouve encore les armoiries dans le décor. Les murs sont couverts d’un décor particulièrement soigné, peint à main levée. Ocre, rouge, noir, ces trois couleurs jouent ici vivement les unes avec les autres. En y regardant de plus près, des motifs apparaissent. Ce sont des lignes, des ondoiements… Elles recouvrent la pièce. Cette découverte a conduit à un programme de restauration plus ambitieux que prévu, dépassant la seule conservation. L’ensemble est représentatif de la décoration des riches demeures seigneuriales du XIVᵉ siècle.